Hobbie a écrit :Je suis pas en train de te parler d'un livre virtuel là Shinnen. Je te parle d'un savant mélange de tous les éléments que tu cites. Le jeu vidéo, ça a justement l'avantage de pouvoir combiner tous ces points avec de l'intéraction.
FAUX.
L'interaction et la narration
s'excluent mutuellement.
La seule façon de pouvoir continuer à jouer tout en recevant des informations narratives, c'est par le son, par la voix. C'est pour ça que les jeux tendent à être gavés de voix qui te cassent les burnes en permanence, et qui affectent la concentration que tu peux avoir sur l'action (à moins de les ignorer complètement : - "
mais fermez là deux minutes, oui ! "
).
C'est comme essayer de lire un texte et de suivre une conversation en même temps : y a une baisse de focus sur les deux.
A chaque cinématique (qu'elle soit gérée par le moteur du jeu ou en pre-render) ou à chaque fois qu'il faut lire plusieurs lignes de textes à l'écran, on
perd le focus sur l'action.
La narration tend à couper le rythme du jeu (
cut-scenes, c'est par pour rien qu'il ya le mot "couper" dedans, ça veut dire ce que ça veut dire), et à faire baisser la concentration quand ça s'imbrique au milieu (voix off, textes). Donc, c'est
très loin de se combiner.
Bref, la narration tend à provoquer une
baisse de puissance, d'affecter les ressources que le joueur peut concentrer sur l'action. De même, avoir une forte interruption (longue cinématique), ça abouti à provoquer une
baisse de tonus chez le joueur. Imagine 30 minutes de cut-scene entre chaque niveau intense d'un manic shooter : à chaque fois, c'est comme si tu entamais une nouvelle session, en ayant perdu "l'échauffement" sur les 1er niveaux.
Pour tout ce qui est narratif, l'interaction du spectateur n'a aucune place : le lecteur ne modifie jamais le contenu du livre, l'auditeur n'intervient jamais dans l'exécution de l'orchestre, le spectateur n'intervient jamais dans la pièce de théâtre, n'affecte aucun plan du film.
C'est 100% narration - 0% interactivité.
Le jeu vidéo, c'est
exactement l'inverse :
c'est 100% interaction, 0% narration. Parce que les commandes sont disponibles 100% du temps, le joueur peut les actionner à chaque soixantième de secondes.
Chaque minuscule pourcentage accordé à la narration ne vient pas se "
combiner", mais
réduire la puissance de l'interaction, jusqu'à purement et simplement empêcher l'accès aux commandes (merci les
cut-scenes...).
C'est pour ça que dans les jeux d'arcade, les cinématiques sont, tout comme le scénario, limitée à une part infime, dérisoire. On est dans le
prétexte, dans la courte transition entre deux niveaux.
Maintenant, y en a qui disent qu'à domicile le jeu est
plus riche car la partie narrative est plus
développée (= la partie interactive s'en retrouve forcément amoindrie)...
Ces gens là n'ont
rien compris aux jeux vidéo, et à la puissance d'action qui à la toute primauté du fait même de la possibilité d'interagir 100% du temps. Ca ne les intéresse pas. Parce que ça leur passe au dessus de la tête, en bons ignares qu'ils sont.
Ils préfèreront les jeux domestiques car ils sont à la fois plus fournis en explications (en
justifications de l'action), et à la fois plus faible niveau challenge car après tout il ne faut pas retarder stupidement le joueur entre deux cinématiques, du genre à cause d'épreuves qui mettent sa dextérité, sa maîtrise du pad en jeu...
C'est grâce à ce genre de
dépréciation de l'interactivité, qui est en elle même la dépréciation de la puissance d'action (du principe de
vitalité), qu'on peut lire ce genre d'inepties monumentales :
ne cherchez pas de quelconques cinématiques pour comprendre le pourquoi du comment de cette aventure
A propos de...............
Rez, un rail shooter.
Bientôt, on va exiger des cut-scenes entre deux changement de niveaux dans Tetris, sinon on comprend pas pourquoi les blocks continuent de tomber.
Et qu'on ne vienne pas me dire : "
non mais là, c'est des jeux qui s'en passent de la narration, c'est pas le cas d'autres genres".
TOUS les genres de jeux vidéo peuvent sans problème
se passer de narration.
Pour appuyer sur des boutons, il n'y a besoin d'aucune justification. Il y a seulement le besoin d'agir, d'être
actif, de manifester sa forte prise sur l'avatar grâce au
contrôleur, afin d'échapper à une situation dont l'issue est
toujours fatale :
la destruction.
Ce principe est valable pour tout jeu normalement constitué, à destination de joueurs normalement constitués.
Regarde un simple shmup, genre archaïque s'il en est : si tu n'agis pas, si tu ne prends pas les commandes, le vaisseau n'en a que pour
quelques poignées de secondes avant d'être détruit.
Dans Tetris : si tu ne fais rien, les briques s'empilent dangereusement vers le sommet de l'écran.
Dans Final Fight : les punks ou autres loubards te feront la peau.
Aucune nécessité d'avoir une justification scénaristique pour ces cas, comme dans tout jeu vidéo. On prend les commandes pour
survivre, pour continuer de jouer.
C'est ça qui est
excitant, désirable.
S'il faut attendre de comprendre pourquoi il est question de prendre les commandes, c'est soit qu'on a rien compris ou que le jeu est tellement insignifiant ludiquement qu'il dépend entièrement du
blabla qui le soutient.
Jouer, c'est exprimer le principe vitale qui régit tout ce qui respire :
agir, participer. Pas d'alternative, sinon cesser de participer, devenir
passif, subir les évènements...
Ultimement :
mourir.
Mais avant de
mourir, avant de connaître la petite mort de l'esprit qui précède la mort du biologique, le psychisme dresse des barrières pour se protéger contre les effets de l'extérieur :
les émotions.
Donc, voir des gens qui plébiscitent les jeux qui sont censés
procurer des émotions grâce au contenu narratif proéminent qui existe
parce qu'il ruine le temps alloué à la puissance d'action (= la possibilité de lutter contre l'issue fatale des évènements), c'est dire du haut niveau de dégénérescence, de la méprise fondamentale de ce que sont les jeux vidéo, sur ce en quoi consiste l'expérience.
Les jeux vidéo ne sont pas un vecteur privilégié des émotions. Parce que la puissance d'action est là,
à portée de main, et il faut que le joueur la mette en oeuvre pour triompher de la fatalité. Et de
mourir et recommencer (die & retry), jusqu'à ce que ça passe.
C'est précisément
parce que le joueur affecte le déroulement des évènements (ce qui n'est absolument pas le cas d'un média purement narratif où le contenu se déroule d'une seul et même façon, quoi qu'il arrive), qu'il est
impossible d'attribuer la moindre portée dramatique au moindre évènement. Il est impossible d'attribuer une valeur à ce qui se passe à l'écran, une valeur qui dépasse le simple instant du constat de l'évènement.
Chaque tentative de "créer l'émotion" dans un jeu vidéo se fait en
amputant le joueur de sa faculté de changer le cours des évènements. En ruinant l'expression de la puissance d'action.
Tant que le joueur est aux commandes, tant qu'il participe, tout est
possible.
Et tant que le joueur fait preuve de
virtuosité et triomphes des épreuves, le jeu continue. Et c'est très bien, il n'y a rien de plus valable et réjouissant.
C'est pour ça que personne ne chiale en voyant tomber Bowser dans la lave, pas plus que quand le vaisseau ennemi disparaît dans une explosion. Aucune défense émotionnelle, pas de tristesse, ni même du sadisme.
Quand on a triomphé de l'adversité, il n'y a rien
sinon la satisfaction de constater que la puissance augmente. Sa propre puissance de joueur.
Power Increase !!!
Or, tout contenu visant à provoquer des
défenses émotionnelles se base sur
l'impuissance, soit l'incapacité du
spectateur à enrayer le cours tragique des évènements.
Le joueur est juste
l'antinomie même du spectateur : le joueur est
capable, le joueur est sollicité pour enrayer le cours tragique des évènements.
C'est ça que je recherche. Le cinéma, le theâtre, la lecture et même la musique ne m'apporterons pas ça. Le jeu vidéo oui.
Le cinéma, le théâtre, la lecture et même la musique t'apporteront du contenu bien plus riche que celui des jeux vidéo, chacun dans leurs domaines. Les jeux vidéo ne pourront jamais rivaliser avec aucun de ces domaines. Les jeux vidéo ne sont que le terrain de la puissance d'action. Ca par contre, aucun des autres domaines ne pourra te l'apporter.
Pour bien comprendre et apprécier ça, il faut maintenir une hiérarchie qui a du sens.
Sans ça, on finit par tout mélanger, et chaque chose est
amoindrie dans le processus du mélange.
Et que en plus ce sera bien mieux réalisé à tous les niveaux !!!
Faux. Les types qui travaillent sur ces aspects sont
tout autant des pros que ceux qui bossent dans les branches dédiées (d'ailleurs, ils en font eux même souvent partie).
"
tout autant des pros"
Les professionnelles du cinéma ne seront jamais mis en périls à cause de la qualité des cinématiques de JV, qui sont non seulement LARGEMENT inférieures technologiquement (même pour le pré-calculé, le cinéma utilise du matos sensiblement plus performant, plus coûteux), mais sont d'un niveau "artistique et émotionnel" vraiment, vraiment en retrait. Les acteurs virtuels, qui bougent comme des pantins, les expressions faciales robotiques, les doubleurs qui se mettent en mode "
jeu vidéo" quand ils bossent sur leurs lignes de texte, les plans de caméra passablement singés... non, pas de risque d'être menacé.
Personne n'irait payer une place de cinéma pour voir un long métrage en images de synthèse bas de gamme produit par l'industrie du jeu vidéo. Et même ceux qui sont spécialisés là dedans sont loin d'enflammer la critique (cf le film Final Fantasy).
Un bon scénar' de JV, ça vaut tout au plus une série B, et on tombe souvent dans le simple nanars.
Et c'est
NORMAL. La haute qualité d'un média provient du fait de sa
spécialisation, qui découle du simple fait qu'on sache ce qui est
approprié, ce qui convient pour chaque chose. C'est le sens de la hiérarchie.
Le cinéma, malgré 100 ans d'évolution, est certes largement meilleur dans son domaine (la mise en scène des images qui racontent l'histoire) que les jeux vidéos qui tentent de l'imiter, mais sera toujours inférieur à la littérature du point de vue narration, développement de personnages, et au niveau de sa portée témoignant de l'aventure humaine.
Les mythes et les légendes, issues de la lointaine tradition orale qui se perd dans la nuit des temps, résonnent toujours à travers les poèmes de l'antiquité, les grandes oeuvres de la littérature, les pièces de théâtres, puis le cinéma....
Il est toujours question de conter des récits basés des structures si anciennes et qui possèdent pourtant toujours autant de force, parce que ces récits touchent à la nature de l'humain, de son rapport au monde, aux évènements de la vie.
Les jeux vidéo arrivent
en bons derniers, et perdent dramatiquement toute force narrative, qui n'a fait que
s'éroder à chaque palier technologique (le précédent étant le cinéma)...
Pourquoi ? Parce que le récit est sacrifié au profit de quelque chose que ne peut pas réaliser tout ce qui a précédé le jeu vidéo :
jouer les évènements qui jusqu'à présent n'avaient été que livrés par le récit.
Participer à l'accomplissement des évènements, ne plus simplement en percevoir l'écho du récit.
L'avatar que le joueur contrôle, avec des commandes qui lui sont attribuées 100% du temps, renvoie directement aux actes des héros anciens, dont on a raconté les aventures et les dangers bravés pendant si longtemps, sous différentes formes.
Avec le jeu vidéo, le récit prend forme, le récit devient
vivant. Donc, il n'est aucunement question de continuer de transmuter le récit, de continuer de
raconter l'histoire, comme ce qui s'est fait par le biais de différents médias. Il est désormais question que les faits
se déroulent en temps réel. Et uniquement ça.
Donc, les tentatives de
remonter en arrière, de régresser à la précédente manifestation du récit (
le cinéma), ça témoigne d'une incompréhension formelle de la barrière franchie avec les jeux vidéo.
Pour en revenir aux jeux vidéo, il n'est pas question de distinguer des
genres de jeu. Tout est question de
puissance d'action. Le genre du jeu est seulement la forme donné au cadre du jeu, et la question des commandes attribuées au joueur.
Il n'est pas question de séparer par exemple le shmup et les jeux qu'on nomme "RPG". Ce sont des jeux vidéo, donc qui reposent sur la pleine puissance d'action, parce que le jeu vidéo
est dédié à ça, c'est son unique spécialité.
La différence, c'est que dans le shmup, la pure puissance d'action est parfaitement comprise et s'exprime sans mal, avec une narration proche du zéro absolu (scénario lambda réduit à un simple
prétexte). Dans les RPG, la pure puissance ne s'exprime plus, car ce sont les avatars qui gagnent en puissance (
points d'XP, items, équipement etc.), et la narration devient le centre des préoccupations, narration qui se fait
au détriment de la puissance d'action (ce qui rejoint naturellement la question de la puissance
déléguée aux avatars, c'est complètement lié).
Les RPG sont donc juste des jeux de puissance
dégénérés, qui en plus échouent péniblement à
remonter en arrière, en voulant calquer les schémas et les moyens de réalisation des précédents médias (qui eux étaient exclusivement dédiés à la narration).
L'heure n'est plus au récit de l'action, l'heure est à
l'accomplissement de l'action.
Et cet accomplissement n'a de valeur que par le
risque encouru, de par la forte probabilité d'échec de la manoeuvre, quand les évènements qui s’abattent sur l'avatar du joueur le rapproche de la fatalité du destin.
Aucun accomplissement, aucune expérience
épique sans un danger à la hauteur, une forte contrainte qui exige de la pure puissance d'action pour y faire face. Et la pure puissance réside dans l'interactivité 100% temps réel. Pas dans les
cut-scenes...
Les jeux vidéo gagneront en maturité lorsqu'on cessera de vouloir raconter des histoires avec ce média (donc
régresser), et qu'on livrera le terrain dont l'hostilité impitoyable conduit naturellement à devoir effectuer des actions
épiques, témoignant de la
virtuosité absolument exigée du joueur, et qui émane des lointains héros légendaires dont les récits nous sont parvenu jusqu'à aujourd'hui car c'est bien de
virtuosité, de vertu et de courage dont ils ont du faire preuve lors de leurs périples.
A côté, les jeux modernes sont vidés non seulement de challenge authentique, de risques et de contraintes sévères, et sont blindés d'assistances en tout genre, qui compromettent irrémédiablement la moindre réalisation épique...
Et c'est précisément parce que rien n'est plus épique dans ces jeux dégénérés (à destination de joueurs eux aussi faibles et dégénérés), qu'il devient alors naturelle de valider la
régression, soit la tentative de livrer le récit des aventures, au lieu d'y participer
activement. Au lieu de les jouer
authentiquement.