[FANBOY INSIDE 69] Georges Brassens
Publié : 20 avr. 2011, 03:31
A tous ceux qui ont à l’esprit que la chanson ne
souffre ni modes, ni époques.
Dans cette section faite de passion, de tripes et disons-le, d'amour, il était assez inconcevable de n'y guère voir figurer un illustre personnage, et encore, le terme d'illustre est loin d'être assez finement connoté pour qualifier l'homme en question.
L'homme en question est d'ailleurs une image d'Epinal, deux éléments suffisent à renvoyer immédiatement à lui. Si je dis "pipe" et "guitare", à qui pensez-vous ? Hein ? à qui ?
BIENVENUE DANS CE FANBOY INSIDE dédié à GEORGES BRASSENS !
Elle est à toi, cette chanson…
Cette simple phrase suffirait à elle seule à résumer l’incroyable itinéraire de chanteur du troubadour sétois qui, en à peine trente années de carrière, aura su devenir un des auteurs français les plus connus au monde, dont le verbe aura su se hisser au rang de référence.
Déjà presque trente ans que de la Camarde Georges Brassens aura fait la rencontre…En ce triste jour du 29 octobre 1981, un tout jeune sexagénaire achevait son combat contre la grande faucheuse non pas par une défaite, mais par un match nul. L’invincible ennemie, même si elle nous a ôté à tous un ami, un confident, un chansonnier de grand talent même s’il s’en défendait, n’a finalement fait qu’emporter l’homme.
Mais l’auteur , l’artiste, le magicien du verbe est toujours parmi nous. Et tant que l’esprit à la fois gouailleur et rigoureux qui animait le poète trouvera encore des hôtes, Georges Brassens ne peut être mort. Après tout, ne suffit-il pas de l’écouter pour le sentir proche de nous, à nouveau ? Aujourd’hui, partout dans le monde, on écoute la voix rustique et chaleureuse de Brassens, qui sous ses dehors timides voire discrets, cachait en elle un authentique courage et une douce ironie qui l’avait amené à exprimer de sérieux engagements sous le couvert de l’humour… Toujours via une grande maitrise du verbe et une ardente discipline littéraire qui réussit même le prodige de faire cohabiter tant vocables soutenus que mots bien plus familiers ! Mais telle est la magie de Georges Brassens : avec lui, même les « Misérables salopes » s’insèrent parfaitement au sein d’une narration limpide dont les apparences comiques arrivent à masquer le caractère tragique d’une relation condamnée au naufrage, car après tout, Cupidon s’en fout…Georges Brassens dépasse les registres lexicaux en niant l’aspect érudit d’une langue très recherchée tout comme il ignorait ou feignait d’ignorer l’infâmie qui teintait ces mots, pourtant bien français, que l’on se plait par convenance à considérer comme vulgaires…Tout en reconnaissant à son véhicule linguistique quelques bassesses comme celle qui veut que « ce morceau de roi de votre anatomie …qui porte hélas le même nom qu’une foule de gens ».
Monument de la chanson française, célébré comme poète -ce qui n’était pas sans lui apporter quelque doute de son vivant- Georges Brassens aura su marquer de sa personnalité qu’il aimait à qualifier de quelconque cet univers d’apparence fermé qu’est celui de la chanson française. Je n’ai eu que trop peu longtemps l’honneur de partager physiquement le même monde que le Sétois, mais en dépit de cette disparité dans le temps, j’estime pourtant qu’aujourd’hui, Georges Brassens et moi-même partageons, à défaut du talent, le même univers fait de gorilles épris de justice, de gratitude universelle envers « La Jeanne », de jeunes et gentilles bergères amoureuses des chatons et de guitare rigolarde car « elle m’emmerde vous dis-je ! ». Georges Brassens a su créer un monde bien à lui, fait d’une multiplicité de personnages graves ou cocasses, dont les mésaventures, les déboires et la façon d’être savent s’immiscer jusque dans le cœur de l’auditeur. Chaque situation du quotidien, chaque banalité, et également chaque coup du sort a été traité par Brassens, de la déroute sentimentale du cocu « mais pas Amphitryon » à l’attente impuissante face à la mort, cette « Camarde », qui aura été une compagne fidèle de l’auteur qui l’a si souvent narrée voire raillée…comme si Georges Brassens avait tenté de l’apprivoiser, de s’en faire une amie, pour aller enfin la rejoindre, à l’image de son Pauvre Martin ou de Bonhomme , non pas en homme vaincu, mais en copain qui vient en visite…
Et cet univers, si propre et lié à la personnalité de son créateur, nous est ouvert à tous, dès qu’on y rentre, on est un peu de la famille, comme quand l’on franchit le pas de la porte de chez Jeanne…
GEORGES BRASSENS avant Brassens
Le 22 octobre 1921 à Sète nait Georges Brassens. De sa prime enfance bien peu aura filtré, si ce n'est une influence précoce de la posésie et notamment des textes de l'époque médiévale sur l'esprit de ce jeune garçons plus enclin a commettre de menus larcins en réunion que de suivre la même route que les braves gens...Le poète reconnu de tous sauf de lui-même préférait de son propre aveu les couleurs d'une nature qui le subjugait à celle du tableau noir.
Cependant, et comme à nouveau les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux, le jeune Brassens finit impliqué dans un vol de bijoux qui lui vaut de sérieux soucis à l'endroit de l'institution judiciaire, soucis aussi précoces que l'attirance du jeune Brassens pour cet outil facinant qui permet les plus belles constructions et ne nécessitent qu'un seul ouvrier, qu'un seul artisan, soi-même : le verbe.
Pour fuir l'opprobre qui le frappait désormais et avec laquelle il règlera ses comptes bien des années plus tard avec sa "Mauvaise Réputation", Brassens monte sur Paris en 1940, afin de tenter d'accomplir son ambition d'homme de lettres et également d'échapper à la perspective de devenir maçon auprès de son père. Après un apprentissage musical au piano sans jamais avoir appris le solfège (assez impressionnant je trouve ! Brassenss'affirme en autodidacte), il doit retourner dans sa ville natale, quand l'histoire le rattrape. En 1943, le régime de VIchy instaure le Service du Travail Obligatoire, et le jeune Georges est concerné. Il part travailler à Basdorf non sans avoir une pensée amicale pour cet étranger qui, d'un air malheureux m' a souri lorsque les gendarmes m'ont pris".
Brassens est donc réquisitionné pour servir de main d'oeuvre en Allemagne et, selon l'absurde propagande vichyste, être par là-même "l'ambassadeur de la qualité française". C'est lors de cette servitude qui ne faisait qu'encore plus accentuer l'humiliation infligée par l'Allemagne nazie à la France que le jeune Georges, entre deux cafés, commença à écrire ses premiers textes, d'ailleurs très inspirés de ce que devait vraisemblablement être son état d'esprit dans cette Allemagne qu'il n'avait nullement envie de connaitre et encore moins dans de pareilles conditions. Comme son Pauvre Martin et son Fossoyeur, Brassens accomplit de basses besognes dans une usine BMW qui produisait pour l'heure des pièces de moteurs d'avion. Ses compagnons d'esclavage commencent à désigner ce jeune homme qui trompe son ennui et sa révolte avec l'écriture nocturne à la bougie comme "le Poète". Profitant d'une permission Brassens déserte le STO en se réfugiant chez Jeanne, la Jeanne face à laquelle il n'aura que de trop superbes mots pour lui témoigner une reconnaissance et une tendresse qui l'habiteront toute sa vie, et même par-delà la mort de "La Jeanne" en 1968.
A ce sujet, rendons également un petit hommage à un autre illusionniste des mots, le délectable Bobby Lapointe (1922-1972), qui avait réussi à tromper les Allemands lors de son enrôlement au STO, en changeant son nom de "Robert Lapointe" en "Robert Foulcan". Et pourquoi ? Car du STO Robert fout le camp ! Quand il revenait sur cette anecdote, Lapointe disait entre deux lampées de ce rouge bordelais qu'il aimait tant : "Je ne les ai aucunement pris au dépourvu".
Nous sommes en 1944 et Brassens se terre donc au 9 de l'impasse florimont à Paris, un logis extrêmement modeste sans installation d'eau courante. Mais, homme de sentiment et d'une modestie tout à fait comparable à celle de son lieu de résidence, Brassens y restera jusqu'en 1966 et y composera une majeure partie de son oeuvre tant musicale que littéraire et militante.
BRASSENS devient Brassens
La fin de la guerre lui permettant de sortir de la semi-clandestinité dans laquelle il vivotait, Georges Brassens retrouve un esprit encore plus critique qui l'amène à se faire le parolier des marginaux,et un ardent défenseur de la qualité d'être humain à la Libération, tout comme il moquera équitablement les "deux oncles mort chacun pour leurs amis tandis que lui qui n'aimait personne vit encore" et qu'il éprouvera une compassion sincère pour ces femmes qui, convaincues d'avoir eu des relations avec des soldats d'occupation, étaient publiquement tondues et dont il usera d'un "accroche-coeur" afind'avoir sa propre rosette à sa boutonnière, lui qui de la Patrie ne "méritait guère". Expression de modestie de la part d'un jeune homme qui avait fui le STO et donc risquait la peine capitale sous le régime de Vichy...
Ses conditions de vie modestes et sa connaissance des milieux marginaux du Paris d'après 1945 amenèrent Georges Brassens, jeune homme modeste mais nanti d'une culture littéraire étonnante pour un homme de cette condition à se rapprocher des milieux anarchistes, et en 1946 il intègre l'équipe du journal Le Libertaire créé un demi-siècle plus tôt par Louise Michel et Sébastien Faure. Il y occupera entre autre les fonctions de correcteur, ce qui ne laisse que peu de doutes quant à la réalité de ses capacités de rédaction et de composition.
Les articles de Brassens, qui dissimulait sa plume sous d'amusant ou de sinistres pseudonymes (Jo La Cédille, Gilles Corbeau, Geo Cédille ou encore Pépin Cadavre) sont certes virulents et peuvent être à l'origine de bon nombre de ses textes, mais sont d'un point de vue strictement lexical d'une grande richesse. Que l'on adhère au fond de la pensée de ce jeune homme de 25 ans ou non, la très haute tenue du vocable ne peut que faire l'unanimité. Certains textes gouailleux comme Hécatombe et ses gendarmes massacrés par une foule de rombières hostiles au marché de Brive-La-Gaillarde auraient-ils seulement existé si le jeune Brassens n'était pas exercé en énonçant qu' "en dépit du trépas d'un flic fauché par un cycliste, nous n'ignorons pas qu'il reste encore des centaines et des centaines d'autres qui continuent à vivre et à empuantir le pauvre monde" ? Et de surenchérir, acerbe : "La police tire en l'air, mais les balles fauchent le peuple."
Mais ce que Brassens aime le plus, c'est la poésie. Il abandonne son poste au Libertaire en 1947 mais conservera sa sympathie aux milieux anarchistes toute son existence et continue de composer ses textes, n'hésitant pas à reprendre un seul et même couplet durant plusieurs heures. Une chanson, c'est une lettre à un ami disait-il, et on ne doit pas être autre chose qu'authentique avec un ami !
Et l'on arrive à une année charnière pour l'auteur et sa rencontre décisive avec celle qui le révèlera au public : 1952 et Patachou, qui introduit sur scène "Les textes mis en musique de monsieur Georges Brassens". Notons que parler de chanson est somme toute assez vague, mais parler de "textes mis en musique" est autrement plus précis et révélateur de deux éléments, les textes rédigés rigoureusement selon les principes les plus stricts de la versification, ou alors d'une richesse lexicale carrément inhabituelle, et l'air, le son qui accompagne les mots...Brassens était déjà présenté comme un artiste atypique.
MONSIEUR GEORGES BRASSENS
A présent, le public découvre cet homme bourru d'apparence, son costume, sa grosse moustache rustique , mais surtout sa guitare, sa poésie drôlatique, provocante et émouvante ainsi que l'habitude de chanter avec un pied sur un tabouret. Etrange découverte que celle de cet illustre inconnu qui vient chanter les déboires de gendarmes qu'on ne peut castrer car par bonheur ils n'en avaient pas, d'une bergère très maternelle avec son petit chat, d'amours fugaces portés par des bancs verts pas uniquement reservés aux impotents ou aux ventripotents et du risque d'heberger une "putain de toi" !
Un répertoire tout nouveau et très vivace chanté par un monsieur que l'on verrait plutot siroter son apéritif que militer activement pour des causes qui en ces années 50 étaient plutôt montrées du doigt ! Tout comme un certain Boris Vian qui réussissait à travestir un message d'incitation à la désobéissance civile et militaire par le biais de la musique alors que la guerre d'Indochine venait de s'achever pour laisser place au conflit naissant en Algérie, Georges Brassens arrive venu de nulle part et émancipe la chanson française en quelques vers et quelques accords !
Et on commence à s'intéresser à ce drôle d'oiseau (de passage). René Fallet, qui deviendra son ami jusqu'à la mort, ressort subjugué d'un récital de Brassens et n'a rien de plus pressé que d'écrire un article pour le Canard Enchainé intitulé "Allez Georges Brassens !" et publié dans le numéro du 29 avril 1953.
On apprend de cet homme qu'il a également publié des poséie et un roman, parodiquement estampillé NRF. En décembre, Polydor lui permet un premier enregistrement qui officiellement ouvre l'univers de la distribution phonographique à cet esprit marginal mais si attachant.
Mais toujours Brassens reste humble, se refusant à quitter son petit taudis de l'impasse Florimont qui est devenu son havre avec l'obligation de se laver dans une cour et la compagnie de chats connus ou inconnus et une douce odeur de tabac à pipe. Le succès commence à se faire grandissant en dépit de la "modestie maladive" de l'auteur-compositeur-interprète qui maudissait le vedettariat tapageur que n'avaient pas renié Maurice Chevalier, Tino Rossi ou André Dassary (dont un petit tour sur Wikipédia vous renseignera sur le titre qui fit sa célébrité et entraina ensuite la perte). Brassens devient une curiosité dont on attent avec joie ou crainte les prochaines élucubrations, et devient un fer de lance d'un mouvement de chanon à texte décomplexée et moqueuse en ce début des années 1960 après la mort de Boris Vian survenue en 1959.
Les années 60 sont celle du couronnement sans couronne de Georges Brassens, mais également le début de ce mal qui devait finir par l'emporter. On voit ce colosse moustachu à l'air bien campagnard, n'hésitant pas à interrompre une représentation le temps d'une rondelle de sauciflard, son contrebassiste et à eux deux, ils occupent la scène qui le temps du concert est plus qu'une simple scène pour se muer en une authentique tribune à l'amour, à l'anarchisme individualiste, à l'humour irrévérencieux mais toujours fort bien amené, et également à l'ennemie de toujours, la "Camarde", celle qui l'accompagne...Après tout, la mort nous accompagnant toute notre vie, elle ne peut être une ennemie ! Seul un véritable ami saurait se montrer si fidèle...
La richesse de l'environnement de la chanson française trouve son apogée parmi les compostitions de Brassens, qui loin des mouvements de mode par nature éphémères comme le disait Sacha Guitry, connait de grands jours grâce au Sétois, mais aussi à Brel, Ferré, Lapointe, Piaf...Si au moyen-âge les trouvères rendaient hommage au langage, si la chanson s'est estompée avec l'emergence d'une littérature très fournie que le monde ne nous envie à tort pas autant que la cuisine, cette période marque enfin la renaissance littéraire de la musique qui pour le coup, se lit et se consulte autant qu'elle s'entend.
Ce rapport entre parole et musique sera d'ailleurs l'un des thèmes principaux abordés lors de la réunion sur les ondes de Brassens, Brel et Ferré le 6 janvier de l'an de grâce 1969. A écouter ICI.
LA FIN
Dans les années 1970 (qui ironie du sort s'ouvriront par l'inoubliable Avec le temps de Léo Ferré, l'état de santé de Georges Brassens suscite de plus vives inquiétudes. A peine âgé de 50 ans en 1971, son visage s'altère et il semble vieillir trop rapidement. Lapointe s'en va jouer de l'hélicon dans un autre café-concert en 1972 aux côté de la trompette d'un Boris Vian parti treize années auparavant, et Brel qui entretemps était devenu un sacré Emmerdeur finit par aller compléter leur formation en un monde meilleur en 1978. Nouveau décès qui inspirera à Brassens ces mots émouvants : Ne dites pas n'importe quoi, quand on s'appelle Brel, on ne peut plus mourir". Force de caractère et sublime formulation du refus de la mort, de ces victoires de la Grande Faucheuse qui lui avait ravi ses parents et sa chère Jeanne...Brassens lui-même avait du se résoudre à faire ses adieux à Bobino en mars 1977...
Désormais, Brassens perd son côté "homme public" qu'il avait d'ailleurs toujours plus ou moins ignoré ou feint d'ignorer et se retire chez lui d'où il continue néanmoins à écrire, dans son bureau saturé de livres de poésie médiévale, de littérature classique et de ses chats adorés dont il déclarait : Je ne sais pas comment ils s'appellent, car je ne leur ai jamais donné de nom, ils viennent d'eux mêmes s'ils le désirent".
Fin 1980, l'état de santé de Georges Brassens, secoué de calculs abdominaux et de coliques néphrétiques qui lui tenaient compagnie depuis 1961, s'aggrave brutalement. On est obligé de le surveiller de près. Après une courte phase de soulagement durant laquelle il se remet à la plume, il s'effondre. Le 22 octobre 1981, on fête ses soixante ans en compagnie d'un Brassens qui sourit comme pour masquer sa douleur et, au prix de sa santé, ne pas inquiéter des amis de longue date- Brassens n'avait que des amis de longue date !- venu lui remonter le moral, alors qu'en fait, c'était ce nouveau sexagénaire qui prenanit sur lui pour maintenir le moral de son cercle d'amis ! Le 29 octobre il est transporté à Saint Gély du Fesc où la Camarde viendra à lui à 23h15. Brassens quitte l'actualité pour la légende.
LA CHANSON SELON BRASSENS
Je vous demande tout d'abord de m'absoudre pour l'intitulé beaucoup trop catégorique de cette partie de texte, intitulé que Georges n'aurait certainement pas trouvé juste, lui-même se déniant comme poète. Après tout, la chanson existait avant Brassens, et existe encore après lui (même si je n'en suis plus si sûr).
Il est des thèmes récurrents dans l'univers de Brassens. L'amitié, la revendication individualiste, l'humour grinçant, les rapports humains et la mort. Ecouter l'oeuvre de Georges Brassens est une fenêtre ouverte sur la vie de l'auteur qui a su associer à chaque moment de sa vie un texte comme pour figer dans le temps ces instants fugaces qui jalonnent toute une existence.
Mais pour se jouer de son public tout en satisfaisant son perfectionnisme de créatif, Brassens a toujours évité l'écueil d'une expression si directe qu'elle en perdrait sn charme. Dans le Gorille, on assiste à une narration comique et originale d'un grand singe puceau au milieu de toute une foule dont l'animal se moque pour aller honorer un magistrat dans un maquis, magistrat qui de victime d'un viol commis par le seul gorille qui ne soit pas affublé d'un micro-pénis passe à celui de bourreau assumé lors des dernières paroles du morceau pour révéler la moralité finale d'un plaidoyer contre la peine capitale au terme d'une chanson bien grasse dont l'aspect trivial n'est là que pour augmenter son coup de théâtre final...Thème repris dans la Messe au Pendu qui comporte cet assez extraordinaire axiome fruit d'une coexistence surprenante : mort à toute peine de mort...Une ultime satisfaction accordée à l'auteur qui verra la peine capitale abolie trois semaines avant de mourir.
Les Copains d'abord ! Fasciné par ce partage inhérent à l'amitié, Brassens n'aura de cesse à travers nombre de ses textes d'appeler au rapprochement et à la dignité humaine comme dans ses très controversés La Tondue, Les Deux Oncles qui pronent la suprématie de la qualité d'homme sur les passions destructrices, tout en soulignant la cruauté et l'absurdité de ces criminelles entreprises belliqueuses avec sa guerre favorite, celle de 14-18, une guerre à laquelle les imbéciles heureux qui sont nés quelque part seraient partis sans trop savoir pourquoi mais pour autant avec une conviction acquise d'on ne sait où...Preuve peut-être bien de leur inexistance !
Mais lier absurdité à l'humour n'était guère une gageure pour le moustachu Sétois, lui qui avait si justement remarqué que le temps ne faisait rien à l'affaire de la connerie des hommes. Constat anthropolgique qui veut qu'on ne peut ni trinquer avec des inconnus, ni les fleurir, ni même leur serrer la main sans être louche. L'amitié est un rapport fragile dit-on, jamais pareille affirmation n'aura trouvé plus cinglant démenti qu'avec l'oeuvre de Brassens et son côté philanthropique qui pourtant ne l'empêchait pas de dire merde là où d'autres diraient amen.
Fidèle au delà de la mort à ceux qui l'avaient un jour ou l'autre et d'une façon ou d'une autre remonté tel cet étranger qui lui a d'un air malheureux souri, ou la mère universelle Jeanne et même son père le costaud qui venait chercher son voleur en lui offrant du tabac là où d'autres pères s'étaient emportés, Brassens se gaussait allègrement de ceux qui suivaient la plupart du temps ou celle-ci est pour majorité "constituée de faux-culs" cette bienséance infondée à plus de quatre, car le pluriel ne vaut rien à l'homme...Tout en louant l'amour mais en opérant une authentique "non demande en mariage", ni devant le maire car aux noces de Jeannette tonton Nestor gâche la noce, ni à l'église car sans le latin la messe nous emmerde !
Souhaitons -lui de bonnes et éternelles vacances sur la plage de Sète, lui l'éternel estivant qui passe sa mort en vacances...
Pauvre Martin,pauvre misère, dors sous la terre, dors sous le temps !
Je ne sais pas si je peux légitimement dire avoir achevé ce texte sur Georges Brassens tant la portée de ses textes est incommensurable. De nombreux ouvrages et hommages plus ou moins bons ont été dédiés à ce géant de la chanson au talent si particulier, dont la personnalité demeure encore aujourd'hui à l'abri des modes. J'achève en reprenant la phrase de Brassens au sujet de la mort de Brel, mais en remplaçant "Brel" par "Brassens" : on ne peut pas mourir quand on s'appelle Brassens.
APPENDICE : vers choisis
Bakounine, penseur de l'anarchisme, anarchisme dont se réclamait Brassens sans n'avoir pourtant jamais lancé le terme "anarchie" qu'une seule fois dans son oeuvre dans son titre Hécatombe, déclarait que la liberté était indivisible, et que par voie de conséquence naturelle, évidente et irrésistible, on ne pouvait en prélever une partie si infime soit-elle sans la détruire totalement. Je reprends cette vigoureuse affirmation à mon compte en annonçant que pour avoir écouté Brassens, il est fort insuffisant de se limiter à un ou deux titres, mais qu'il est naturel, évident et irrésistible de devoir écouter l'ensemble de la production de l'auteur.
A contrario, il semble assez opportun de conclure ce petit laius par une selection de quelques lignes de Brassens afin de dresser un panel de la beauté qui règne dans ce monde fait de guitare et de tabac à pipe en bois ornée de fleuron, de ces pipes qu'on fume en levant le front, sans égaler le gout de sa vieille pipe en bois...Tout comme l'impasse Florimont et son petit taudis qui ne seraient jamais égalés même par le plus luxueux des appartements, car Brassens, c'est l'authenticité au delà des apparences.
Sacré nom d'une pipe !
Il peut dormir ce souverain
Il peut dormir ce souverain
Sur ses deux oreilles serein
Sur ses deux oreilles serein
Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.
(Le Roi)
Jean s'en va-t-en terre
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché ?
Mais un brave cœur lui dit
Ton papa, pauvre petit,
L'est déjà-t-en cendres,
Le bon Dieu n'est pas gentil.
(Jean rentre au village)
Par un petit matin d'été
Quand le soleil vous chante au cœur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté
Quand on est mieux ici qu'ailleurs
Quand un ami fait le bonheur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté
(Heureux qui comme Ulysse)
Les hommes sont faits, nous dit-on
Pour vivre en bande, comm' les moutons
Moi, j'vis seul, et c'est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin
(La Mauvaise Herbe)
Ils s'apercevront émus
Qu' c'est au hasard des rues
Sur un d'ces fameux bancs
Qu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour
(Les Amoureux des bancs publics)
Il a fallu qu'elle me quitte
Après m'avoir dit grand merci
Et je l'ai vue toute petite
Partir gaiement vers mon oubli
(Le Parapluie)
De la mansarde où je réside
J'exitais les farouches bras
Des mégères gendarmicides
En criant: "Hip, hip, hip, hourra!"
(Hécatombe)
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant les ch'mins qui n'mènent pas à Rome,
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
(La mauvaise réputation)
Lors, j'ai vu qu'il restait encor
Du monde et du beau mond' sur terre
Et j'ai pleuré, le cul par terre
Toutes les larmes de mon corps
(Celui qui a mal tourné)
J'ai quitté la vie sans rancune
J'aurai plus jamais mal aux dents
Me v'là dans la fosse commune
La fosse commune du temps
(Le Testament)
Dans un coin pourri
Du pauvre Paris,
Sur un' place,
Une espèc' de fé',
D'un vieux bouge, a fait
Un palace.
(Le Bistrot)
Les bonnes âmes d'ici bas
Comptent ferme qu'à mon trépas
Satan va venir embrocher
Ce mort mal embouché
(Le Pornographe)
Le temps ne fait rien à l'affaire
Quand on est con, on est con
Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père
Quand on est con, on est con
(Le temps ne fait rien à l'affaire)
Mais Jeanne, la Jeanne
Ne s'en soucie pas plus que de colin-tampon
Etre mère de trois poulpiquets, à quoi bon
Quand elle est mère universelle
Quand tous les enfants de la terre
De la mer et du ciel sont à elle
(Jeanne)
Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu ! c'est ma règle et j'y tiens.
Parmi les cris des loups on n'entend pas le mien.
(Le Pluriel)
Si j'ai trahi les gros, les joufflus, les obèses,
C'est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brut',
Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut !
(Le Bulletin de Santé)
Elle m'emmerde et j'regrette mes belles amours avec
La p'tite enfant d'Marie que m'a soufflée l'évêque
Elle m'emmerde, vous dis-je
(Misogynie à part)
Quatre-vingt-quinze fois sur cent
La femme s'emmerde en baisant
Qu'elle le taise ou qu'elle le confesse
C'est pas tous les jours qu'on lui déride les fesses
(Quatre-vingt quinze pour cent)
Cupidon ce salaud reste chez lui qui n'est pas rare
Avait trempé sa flèche un petit peu dans le curare
Le philtre magique avait tout du bouillon d'onze heures
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois
(Sauf le respect que je vous dois)
Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
(Tempête dans un bénitier)
Et gloire à ce soldat qui jeta son fusil
Plutôt que d'achever l'otage à sa merci
Et gloire à don Juan d'avoir osé trousser
Celle dont le jupon restait toujours baissé
(Don Juan)
Ancienne enfant d'Marie-salope
Mélanie, la bonne au curé,
Dedans ses trompes de Fallope,
S'introduit des cierges sacrés.
Des cierges de cire d'abeille
Plus onéreux, mais bien meilleurs
Dame! la qualité se paye
A Saint-Sulpice, comme ailleurs.
(Mélanie)
Georges BRASSENS
22 octobre 1921 - 29 octobre 1981