[FANBOY INSIDE 54] La Guérison des Dalton

Tranches de passions surtout rétro et surtout gaming, mais pas que. Alias "FBI" - si les fédéraux débarquent, c'est Yace qui a fait le coup.
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yace
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Bonjour ou bonne nuit selon votre rythme de sommeil et/où votre hémisphère de résidence !
Bon, dans ce vaste patchwork de passion, nostalgie et autres confessions intimes (aucun lien) que sont les Fanboy Inside depuis leur arrivée sur le forum de shmup.com (et pas ailleurs !), on a tout vu : de la critique de jeu, de films, de séries, d'artistes, et qui sait encore ce que l'avenir nous reserve...

Mais il n'y a pas encore eu de petit topo sur la Bande Dessinée (avec majuscules incorporées).
Or, ce que l'on appelle communément le neuvième art se doit quand même de figurer ici. C'est pourquoi j'ouvre ce nouveau et cinquante-quatrième volet par la critique d'un des albums qui m'a le plus marqué, toute série et tout héros de BD confondus.

BIENVENUE DANS CE FANBOY INSIDE consacré à la Guérison des Dalton !

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Album de Lucky Luke, l'homme qui tire plus vite que son ombre au grand regret de ses adversaires de duel ou de ses partenaires d'un soir, La Guérison des Dalton parut en 1975 sur un scénario du génial René Goscinny qui nous a quitté prématurément en 1977 alors qu'il passait un test d'intelligence, intelligence dont il n'avait pourtant guère besoin de nous prouver l'étendue (sans déc, il n'y a qu'à voir la finesse des dialogues d'Asterix pour s'en apercevoir). Morris est au dessin, et voilà comment deux auteurs majeurs et hélas décédés nous offrent ce qui à mon sens est l'épisode le plus abouti de toute la collection Lucky Luke.

La Guérison des Dalton intervient dans une période charnière du cowboy solitaire. Les premiers étaient en fait très "western" avec des épisodes sérieux voire austères (citons Phil Defer dans lequel Luke finit par abattre son rival dans un duel angoissant), mais qui peu à peu vireront vers un humour assez fantaisite comme dans les albums Biully The Kid, L'Escorte ou encore Tortillas pour les Dalton. Cet épisode est de loin plus sérieux et marque une étonnante maturité (non pas dans le style narratif de Morris et Goscinny, qui reste toujours agréable même dans les Lucky Luke les plus comiques comme Sarah Bernardt ou Le Pony Express [avec Fauche et Leturgie au scénario]), mais dans le thème abordé.

L'histoire est la suivante : un scientifique venu d'Europe, le professeur Otto von Himbeergeist, arrive aux Etats-Unis fermement convaincu que les criminels sont en réalité des malades, donc susceptibles de guérison. Afin de mettre ses théories à l'épreuve, il vient choisir en ce bon Far-West des bandits afin des les soumettre à son traitement expérimental destiné à les guérir de leur penchants criminels. On est en tous cas loin du délire pseudo scientifique d'un certain nabot qui causait le plus sérieusement du monde d'un "gêne de la criminalité" perceptible, excusez du peu, dès l'âge de 3 ans...Sans plus avant de références ou de recherches quelconques, à moins peut-être d'avoir lu des oeuvres dont je me refuse à citer le nom sur ce forum qui ne mérite pas qu'on salisse ses colonnes.

Après avoir essuyé les critiques d'un membre du Congrès scientifique des Etats-Unis, qui représente encore la bonne justice du Far-West "Les criminels sont des criminels, pour les guérir, il n'y a que le plomb ou la corde" (p.3), le professeur von Himbeergeist s'en va vers l'Ouest, où il est accueilli par l'expert en bandits du Far-West : Lucky Luke.

Une visite dans le pénitencier du coin amène le professeur à jeter son dévolu sur les frères Dalton. Aux grandes protestations de Lucky Luke, qui a vu clair dans le jeu des quatre frères (ou plutot des trois, car à l'évidence Averell ne comprend rien), les bandits entament un traitement psychiatrique qui se poursuivra hors de l'univers carcéral.

Les premières réactions sont, aux dires mêmes du professeur Himbeergeist, plutôt encourageantes : les Dalton se confient, se détendent loin des murs de leur cellule, et finissent même par témoigner de la sympathie à leur adversaire récurrent, lequel commence à se sentir lui-même désorienté. ("Ou le professeur est un génie, ou alors il va se passer des choses !" p.21).
Otto von Himbeergeist revient, fermement décidé à donner le point final à son test : remettre les Dalton en liberté avec armes et chevaux. Lucky Luke s'effraie et proteste, ce à quoi le professeur réagit en hurlant pour la première fois...Mais devra ensuite se rendre à l'évidence : les Dalton n'ont fait que donner le change et s'enfuient avec le professeur en otage.

Lucky Luke se libère grâce à l'intelligence de Rantanplan qui a bien malgré lui fait les frais du traitement du professeur et se rend en ville. Là, il apprend que des braquages sans violence ni effraction se multiplient dans la région. Il retrouve la piste des Dalton, mais a la surprise de voir que désormais, le professeur est devenu lui-même un bandit.
Il assiste alors à un braquage de ce nouveau genre : s'introduisant de nuit chez un patron de banque, il est témoin de l'habile lavage de cerveau que le professeur fait subir au patron qui consent de lui-même à lui remettre le contenu de son coffre et de celui de la banque ("J'en ai assez ! Je ne veux plus le voir, ce sale argent !" p.38 ).
Au moment de quitter la ville, Averell, manipulé par Lucky Luke, subit une crise de dégout du vol et cause un débordement de trop de la part du professeur, qui attaqué par un Rantanplan obnubilé par l'image du père, perd ses armes, dont le cowboy s'empare. Les frères Dalton se retouvent face à Lucky Luke et sont maitrisés par une dernière et bien involontaire intervention d'Averell, et retournent en prison...
Le professeur est traduit en justice, condamné à un an de prison puis à être renvoyé chez lui.

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Portée de l'oeuvre

Vous l'avez compris, La Guérison des Dalton aborde le thème de la psychiatrie et de la psychanalyse criminelle, un sujet étonnamment poussé pour ce qui n'est finalement qu'un album BD pour jeunes...du moins en apparence.

Le personnage principal de l'ouvrage, le professeur Otto von Himbeergeist, est interessant à plus d'un titre. Vraisemblablement brillant universitaire, sur de son fait et capable de provoquer chez ses interlocuteurs des réactions bien inattendues et lourdes de conséquences, il tient toute l'intrigue à bout de bras.

Dès le début, il suscite l'ire d'un des membres du Congrès scientifique qui ira jusqu'à évoquer le souvenir de son père, un homme qui à coups de fouet, a su faire de lui un honnête homme (P.3), avant d'évoquer des souvenirs d'enfance du président du Congrès, avant de repentir des desperados ayant attaqué le train qui le transportait, puis avoir sevré un ivrogne, fait pleurer un directeur de prison, fait douter Lucky Luke lui-même avant de s'attaquer, devenu bandit, aux directeurs de banque...Mais son traitement, dans lequel il a investi tant de confiance, finira par se retourner contre lui tandis qu'il agissait de manière efficace sur Averell Dalton...

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Si les réactions de ceux qui entendent le professeur et ses questions ou remarques participent indéniablement d'un certain effet comique, comme l'ivrogne qui finit par aimer ce qu'il haissait dans son enfance (le gras de viande) et par ne plus boire une goutte avant de devenir prêcheur (!), ou le directeur de prison qui en vient à faire le lien entre son travail de geôlier et de malsains penchants de jeunesse...Lui qui croyait dur comme fer rendre service à la société ! Une habile interrogation sur l'efficacité du système pénal et carcéral (p.7) aussitôt suivie par une démonstration de son absurdité avec trois assassins patibulaires condamnés à des peines légères, et un voleur de cheval à la mine inoffensive condamné à perpétuité...ce à quoi le professeur osa cette reflexion "J'aimerai bien connaitre leurs juges" (P.8 ).

Le traitement se poursuit, au point même que Lucky Luke se sente un sentiment de compassion envers Joe Dalton (P.18), situation brillamment synthétisée par un Jolly Jumper toujours aussi in observateur et philosophe : "Je crois que tout le monde est devenu dingue, oui !". Puis on assiste à un progressif retournement de situation avec un Joe Dalton manipulateur et dune intelligence extr^me qui arrive à tirer des confidences au professeur (p.20) amorçant ainsi le revirement criminel de ce reflexe mauvais du professeur, qui s'en croyait à tort protégé...

Le thème de cet album est donc simple : l'Homme est-il disposé par essence à faire le bien, et des évènements extérieurs peuvent-ils lui changer sa route ? Cet abum m'évoque par moments le film de Stanley Kubrick de 1971, Orange Mécanique, dont un des thèmes est précisément celui-ci : l'homme est-il libre de ses choix dans la voie du bien et du mal ? La scène où Lucky Luke accompagne le prof à la prison évoque également fortement la scène du film de Kubrick dans laquelle le Ministre de l'Intérieur vient visiter les détenus pour choisir le sujet d'une thérapie contre le reflexe criminel...exactement comme le prof de l'album de Lucky Luke.

La suite est connue : seuls Averell et Rantanplan ressentiront les effets escomptés du traitement, ce qui causera la perte du prof et la fin de son délire personnel. Finalement, à la lecture de ce volume, on peut se poser plusieurs question, comme celle de savoir si le professeur n'avait en fait pas prévu de rencontrer des criminels à seules fins de se tester lui-même pour enfin savoir quelle était la voie qu'il suivrait pour l'avenir...même s'il s'en défnd en arguant d'"influences subies durant son enfance" (p.33). A cette occasion, il donne des explications dont on ne saura jamais si elles sont vraiment pensées ou fruits d'une tentative de déni devant sa criminalité naissante ou plutot latente...mais qui vient de se déclarer.

La fin de l'album se veut comme un triomphe des réactionnaires du Congrès américain des sciences, mais les faiblesses des hommes sont tout sauf imaginaires...la conclusion est brillante, car "Les théories dont le professeur Otto von Himbeergeist n'aura été que le malheureux précurseur sont en train de naître...". Le récit s'achève sur une nounou, épouvantée des agissement d'un certain jeune "Siggy Freud".

Bref, non content de suivre un rythme sans faille et une narration limpide, teintée d'humour et empreinte d'une reflexion poussée, La Guérison des Dalton est un ouvrage incroyablement riche et surtout d'une grande profondeur. Quand on le lit à 10 ans, on n'y voit guère qu'un nouveau récit des aventures du cowboy solitaire monté sur 500 kilos d'intelligence et de fidélité chevalines (un carambar à celui qui découvre de quel album est tirée cette citation), mais quand on le relit plus tard...On découvre un tout nouveau bouquin...surtout quand on est soi-même un sujet de psychiatrie au QI récemment chiffré à 152 à l'image de votre dévoué rédacteur...

A la prochaine pour un nouveau FBI, ici et surement pas ailleurs...

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Tandis que ces messieurs, nom de Dieu, s'arrondissent la panse, sang Dieu!
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allez hop, je vais me le relire avant d'aller faire dodo !

PS: Goscinny n'est-il pas plutôt mort pendant un test d'effort chez le cardiologue ?
Ma page youtube (avec pas mal de superplays de shmup):
http://www.youtube.com/Maximilianodent
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yace
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J'ai entendu les deux versions...Toujours est-il que Goscinny n'aurait pas du mourir ! :blah:
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