[FANBOY INSIDE 61] Paths of Glory

Tranches de passions surtout rétro et surtout gaming, mais pas que. Alias "FBI" - si les fédéraux débarquent, c'est Yace qui a fait le coup.
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yace
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Une des missions premières du 7ème art est à mon sens d'émouvoir le spectateur, de ce sorte à ce qu'il sorte enrichi du film qu'il vient de voir. Et même si très sélectifs sont mes critères d'appréciation, je reconnais avec dépit être devenu assez insensible aux productions cinématographiques actuelles...
Alors je me replonge dans certaines oeuvres passées et je n'hésite pas à voir et revoir certains films plusieurs fois par semaine. Certains ont dépassé leur centième vision, et il sera ici question d'un de ces films qui, sans doute possible, définit parfaitement le caractère poignant qui fait les grands films, surtout quand il traitent d'un sujet qui personnellement me touche, et même plus, me heurte.

BIENVENUE DANS CE FANBOY INSIDE dédié à PATHS of GLORY (Les Sentiers de la gloire).

Bande annonce

Film américain réalisé en 1957 par le jeune Stanley Kubrick, Paths of Glory est tiré du roman éponyme d'Humphrey Cobb (1899-1944) lui-même tiré d'un fait divers authentique, si tant est que l'appellation "fait divers" est appropriée en temps de guerre. Des soldats français, s'étant refusés à exécuter un ordre insensé, furent condamnés à mort et exécutés comme traitres, pour finalement n'être que partiellement réhabilités dans les années 30, leurs veuves recevant chacune un franc symbolique à titre de dédommagement.

Au départ, Stanley Kubrick, ulcéré de son premier film, Fear and Desire qu'il considérait comme un ratage artistique, s'était refusé à faire un nouveau film traitant de guerre. Mais sur l'insistance de son associé de l'époque, il se décida à lire l'oeuvre de Cobb.
S'en suivit une fable cynique sur l'absurdité des faits de guerre et leur confrontation avec la valeur d'une vie humaine.

En France, durant cette année 1916, les troupes du général Paul Mireau (superbement incarné par George McReady), ont pour ordre de mission d'aller investir une place allemande réputée imprenable surnommée "la Fourmilière". Le rapport de force étant par trop défavorable, l'assaut est donné mais avorte rapidement. Tenu au courant du déroulement des opérations, le général Mireau, scandalisé de voir son autorité mise en cause, ordonne à son capitaine de batterie de faire feu sur ses propres tranchées afin d'obliger les hommes à les quitter. Ordre que le capitaine ne transmit pas pour des raisons de procédure, ce qui accroit la fureur du gradé.

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Après l'échec de cette tentative, les autorités militaires décident de sévir. Le général Mireau, assisté du général Broulard, réclame l'exécution de dix soldats par division afin de motiver ses troupes. Le colonel dirigeant les bataillons incriminés, Dax, campé par le légendaire Kirk Douglas (un des derniers vrais géants du cinéma à encore être de ce monde à mon avis !), est horrifié devant cette décision mortifère : n'a-t-il lui-même constaté l'impossibilité de l'objectif ?

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Devant le caractère buté de sa hierarchie, le colonel Dax, avocat dans le civil, réussit par l'intermédiaire du jovial Broulard à diminuer les prétentions du sanguinaire Mireau qui intime à Dax de choisir trois hommes qui passeront en Cour Martiale. Dax, toujours tiraillé par sa conscience, ne procèdera pas au choix, à la colère de sa hierarchie qui donnera l'orde de choisir à un sergent peu recommandable qui tient là l'occasion de faire oublier certains de ses errements.
Trois hommes : le soldat Pierre Arnaud (Joe Turkel, qu'on retrouvera plus tard dans Blade Runner ainsi que dans The Shining), Maurice Férol (Timothy Carey) et Philippe Paris (Ralph Meeker, qui livre une interprétation vraiment déchirante) sont donc déférés devant le tribunal militaire.
Le verdict pré-établi est alors rendu de manière expéditive, à la grande frayeur du colonel Dax qui s'était constitué le défenseur des trois accusés, qui seront dès le lendemain solennellement amenés au peloton d'exécution et passés par les armes.

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L'absurdité et le cynisme tiennent une place capitale dans la narration des Sentiers de la Gloire. Le film s'ouvre au son d'une Marseillaise illustrée d'insignes censés personnifier la grandeur du commandement militaire. Le général Mireau, dans une tenue impeccable, passe en revue ses troupes dans le chaos insalubre des tranchées de 1916. Au début, il semble un officier à l'écoute, mais révèle sa vraie nature dès qu'il tombe sur un soldat qui confesse sa panique, allant jusqu'à le gifler. Ordre est intimé aux troupes de se saisir de la place ennemie, après le départ du général bien entendu. Général que l'on voit fulminer et tempêter dans son QG propret et sécurisé, tout le contraire du théâtre des opérations où le chaos accule les hommes au désespoir voire à la folie.

Feignant d'ignorer que l'ordre donné aux troupes n'est que celui de mourir, le général n'hésitera pas à commander le feu contre ses propres troupes, ce qui constitue un acte de trahison assez curieusement passé sous silence pour l'instant, contrairement à celui supposé des soldats.

Entre la désolation des combats et l'inhumanité flagrante des chefs, un élément du film réussit à conserver discernement et amour du genre humain : le colonel Dax, qui au mépris des menaces, abandonne sa charge d'officier le temps d'un procès pour renouer avec son métier civil d'avocat. Devant l'horreur des premières réquisitions vengeresses du commandement, on sent une émotion dans les protestations de Dax qui n'est plus colonel mais à nouveau un simple humain terrifié. Protestations auxquelles le général Mireau demeure insensible, n'étant plus que le titulaire d'un uniforme sans le moindre sentiment.

Le choix des trois boucs-émissaires est tout aussi révélateur de l'incroyable cruauté conséquence même du contexte chaotique et déshumanisé de la hierarchie militaire : l'un d'entre eux est selectionné car il est suspecté d'être "asocial en ces temps de guerre", le deuxième car le sergent le suspecte d'être au courant de certaines magouilles, et le troisième...parfaitement au hasard !
Les trois hommes sont donc emprisonnés dans une cellule insalubre, antichambre de leur tombe. Lors du procès, pour gagner du temps car la cause est entendue, non pas par des impératifs de justice, mais par la voloné souveraine des généraux, l'acte d'accusation n'est même pas exposé. Le colonel Dax livre une brillante plaidoirie basée sur l'éthique d'un pareil choix, que les jurés balaieront d'une fin de non-recevoir, désireux pour certains d'entre eux de voir le procès finir au plus tôt afin de sauver leur propre peau en évitant d'être à leur tour mouillés par ce cas qui les concerne également.
Les trois hommes sont donc condamnés à la peine capitale pour lâcheté en présence de l'ennemi. Ce qui est d'autant plus inuste que les trois hommes ont effectivement porté les armes sans jamais témoigner la moindre peur devant l'ennemi. Ce qui évidemment n'était plus le cas face à ces jurés qui pourtant ne sont pas ennemis, mais bel et bien Français...

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Revenus en prison, les trois condamnés n'ont plus qu'un espoir, le colonel Dax qui va plaider un recours en grâce. L'un d'entre eux ne se fait plus d'illusions quant à leur sort commun. S'ensuit une scène déchirante : voyant un cafard marcher sur le sol de leur cellule, l'un d'entre eux le regarde d'un air méprisant, ce à quoi undes compagnons de cellule réagit :"Demain, ce cafard sera encore vivant, lui. Alors que nous..."

Dax se montre très convaincant dans sa plaidoirie face au général Broulard, dont l'attitude joviale laisse présager qu'il accordera la grâce. Et là, suprême raffinement dans la cruauté, le gradé expose au colonel-avocat que ces trois morts seraient une stimulation sans précédent pour les hommes qui ainsi remporteront la victoire. Sacrifier trois soldats, pour remporter une guerre, Broulard expose le sourire aux lèvre qu'il ne s'agit là que d'un "arrangement". Et de plus, "fort avantageux".

Lors de leur dernier repas, les trois condamnés ne peuvent manger, car leurs couverts leur ont été confisqués.Un prêtre vient assister les morts en sursis, ce à quoi l'un d'eux réagit par la violence devant ce "complice en soutane" et finit par être maitrisé, suite à quoi il perd conscience et se rapproche donc de sa mort encore plus.

Au matin, devant un parterre de soldats, gradés et de journalistes, un cortège vient chercher les trois captifs afin de les conduire sur les lieux de leur mort. Le plus courageux d'entre eux, Paris, qui était resté stoique jusque là, s'effondre aux pieds du sergent venus les mener à la mort et implore son sauvetage, ce à quoi le sergent répond, impitoyable ou impuissant, qu'il ne peut plus rien désormais. Pour la postérité, il ne vous reste qu'à bien mourir. Il se ressaisit vite et marchera ensuite à la mort avec courage, ou peut-être avec résignation.

Les deux autres ne réagissent pas de la même façon : Arnaud est inconscient, et Férol se réfugie dans la tristesse et dénonce l'injustice dont il est l'objet. Arrivés dans la cour du tibunal, les trois capitfs sont livrés à la foule ordonnée et disciplinée des spectacteurs, une régularité qui contraste évidemment avec le champ de bataille, et au cours d'une scène pesante filmée du point de vue des condamnés, on assiste à la salve d'un peloton d'exécution...Le sergent qui commanda le feu le fera sur ordre de Dax, désireux d'infliger au triste personnage cette charge ingrate. Arnaud est réveillé afin de mourir en pleine conscience, Férol réclame un bandeau, ce que Paris refuse, désirant jusqu'au bout voir la vie et la mort en face.

Cette scene est visible ici.

Le film aurait pu s'achever ainsi. Sur l'évidente injustice de ces trois morts qui ne sont finalement que des morts tombés en temps de guerre, mais pas pour autant victimes des combats..Plutot de la raison militaire.

L'ordre du général Mireau de faire feu sur ses propres troupes ayant été mis à jour, ce dernier s'en offusque après s'être félicité de la belle mort des trois hommes. Dax se voit alors proposer la place du génral par le général Broulard, pour qui il est évident que Dax avait mûri un plan afin d'assurer sa carrière d'officier. Ce à quoi, comprenant que son humanité n'avait pas été perçue, Dax réagira avec véhémence face à son supérieur, bravant les menaces de mise aux arrêts. Kirk Douglas est saisissant dans sa tirade de colère contre Broulard, on sent bien que c'est l'homme et non plus le subordonné qui sort ce qu'il a sur le coeur. Ce à quoi Broulard réagira en le traitant d'idéaliste et en ne voyant aucune faute dans la survenance des évènements.

Ce à quoi Dax répondra : "Si vous n'en voyez pas...Alors je vous plains".
Revenu à sa désillusion et à son commandement de colonel, Dax aperçoit ses hommes, brutes dépenaillées et mal entretenues, au moral perturbé par la haine de l'ennemi, prendre un instant de repos dans une salle où un présentateur fait venir une jeune femme, une captive ennemie. D'abord sujette aux huées de cette masse qui n'a plus rien d'humain, la jeune femme apeurée entonne un chant sur la demande du présentateur et les sifflets moqueurs des soldats.
Le chant en question finit par imposer le silence, puis l'émotion à ces "hommes" qui le temps de cette vocalise, réalisent la monstruosité de l'entreprise dans laquelle ils sont tous impliqués, et constatent que le beau et le bon peut venir même de l'ennemi, qu'ils ne sont finalement que des hommes, encore capables d'être remués par la beauté quelle qu'elle soit et d'où qu'elle vienne...Ultime signe de retour à l'humanité profonde, ces soldats qui quellques instants auparavant se comportaient en rustres fieffés finissent par entonner le chant de concert...Et essuyer une larme qui contraste avec leur aspect froid et austère, symbolisé par cet uniforme maudit qui fait d'eux de la chair à canon, supposée accepter docilement l'ordre de mourir.

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Cette scène est d'ailleurs devenue l'une des plus célèbres du film, celle que l'actrice, Suzanne Christian, devenue par la suite Mme Suzanne Kubrick, déclarera être le symbole même de la filmographie de son défunt mari. Une scène que Spielberg et Jan Harlan visionneront le 7 mars 1999, date du décès du réalisateur des Sentiers de la Gloire. A voir ici.

Longtemps censuré en France et maudit de la diplomatie française, Paths of Glory devra attendre 1975 pour être diffusé dans les salles de notre "beau" pays. Censure maudite et insensée, le film étant sorti alors que le conflit algérien entrait dans une phase de violence accrue, mais insensée réellement car ce n'est pas l'armée française qui est ici brocardée, mais bel et bien l'absurdité de toute guerre, entreprise barbare d'assassinat collectif et organisé, de laquelle ne sort jamais de vainqueur, mais uniquement des vaincus...

Premier véritable chef d'oeuvre de Stanley Kubrick, alternant scènes froides et révoltantes avec d'autres moments beaucoup plus poignants et humains, Paths of Glory est une oeuvre majeure et inoubliable, et à ce jour le plus beau rôle de Kirk Douglas. Plus qu'un film anti-militariste, Les Sentiers de la Gloire représente avec brio la plus pure et solennelle critique de la guerre et de cette folie furieuse qui s'empare des hommes, fut-elle masquée sous les traits d'une légalité militaire qui n'a de légal que la prétention, et d'humain que l'illusion.

Quand je pense, je me rends compte que Kubrick n'avait pas encore 29 ans quand il réalisa ce film. Diriger Kirk Douglas, Adolphe Menjou et George McReady à moins de trente ans...C'est bien grâce à ce film que Kubrick se fit mondialement connaitre.

A bientôt pour la suite.
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Professional Cardboard
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Bravo ! Immersion garantie en te lisant avec une belle ecriture fluide et jamais ennuyeuse , et l envie bien sur de se replonger dans cet excellent film du genial stanley que j ai honteusement négligé .
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Mickey
King Fossile
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Pour info il passe ce soir sur TCM, une des meilleures chaines du PAF qui en plus a le bon goût de ne pas massacrer les films avec de la coupure pub.

Suivi de 2001, soirée cinéma de qualité en perspective !
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sisi
Empereur Bydo
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Cool :aaah: à voir absolument pour ceux qui ne l'ont pas encore vu!

merci Yace aussi de ce petit Fanboy Inside, pour moi, la première guerre mondiale est clairement ma guerre préférée ( comme Brassens), Il n'y a pas eu tant de films sur elle et c'est assez dommage.
C'est la guerre où clairement la France a donné le paquet ( victorieuse mais meurtrie avec 1 315 000 soldats français décomptés morts soit 27% des 18-27 ans) pour repousser l'ennemi germanique.

Je suis sûr que beaucoup comme moi ont des grands parents ou arrière-grands parents qui l'on faite, et il n'y a pas un bled qui n'ait pas son monument aux morts (ça a été du pain béni pour les sculpteurs qui n'ont jamais eu autant de commandes!).

Juste un tout petit reproche (riquiqui) pour ce film: le château où se trouve l'état major français est un château bavarois, et je suis étonné que Kubrick, qui était perfectionniste et pointilleux -notamment pour les décors- ait fait ce choix contestable (cette guerre ne s'est pas déroulée sur le territoire allemand).

Enfin, c'est un détail, ce film est un chef d'oeuvre.
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Arsene
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je profite de ce FBI pour en parler ici, j'ai été voir la rétrospective Kubrick la Cinématheque Francaise(Paris, Bercy), c'est vraiment bien foutu,avec pas mal d'accessoires de costumes, mais aussi des scripts,
des maquettes de decors (celle de la salle de Dr.Strangelove notament), bref a ne pas manquer si vous etes dans le coin, fan ou pas fan connaisseurs ou pas courrez -y !
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Merci pour l'info Arsene, ton post tombe à pic ( comme l'homme).
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yace
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Je suppose que la prise de photos est interdite dans cette exposition... :ouin:
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Arsene
Ruineur de Clavier
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jpense que ouais comme dans beaucoup d'expo, ça doit être interdit, apres j'ai vu pas mal de monde, smartphone a la main,prendre des photos... donc je pense que si tu débarques pas avec un gros reflex plus un flash de 2000 watt , ç'est jouable :)
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yace
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la première guerre mondiale est clairement ma guerre préférée ( comme Brassens)
Un texte vraiment sublime, un chef d'oeuvre d'ironie ! On me regarde d'un sale oeil quand je l'entonne en pleine rue...

Dans le même genre, on l'avait bien emmerdé aussi pour son titre Les deux Oncles.

Quand on est en avance sur son temps, on est souvent incompris.



Et pourtant, même le Soldat Inconnu bande quand il pense à Fernande.
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